Impressions tunisiennes Robert Joumard, Serge Gardien et Antoinette Charpenne

, par Robert Joumard

À l’invitation du Raid Attac Cadtm Tunisie, 6 militants d’Attac Rhône, 2 d’Attac France, 2 d’Attac Allemagne, 1 d’Attac et CADTM Togo et 3 du CADTM international et France ont passé de 3 à 5 jours à Tunis autour des 18-20 mars 2011. Ils ont participé notamment à une réunion de militants, à un meeting public et à une manifestation pour l’annulation de la dette extérieure publique tunisienne.

Voici quelques impressions sur la situation en Tunisie.

La révolution tunisienne semble avoir été faite essentiellement par les jeunes et d’abord par les jeunes provinciaux, ceux qui subissaient le plus le chômage, la marginalisation, l’abandon. C’était non pas la révolution du jasmin, nom inventé apparemment par des journalistes étrangers, mais la révolution de la dignité, car l’objet de la révolution est la dignité, la liberté et le travail. Les manifestants n’avaient guère côtoyé les rares militants politiques, mais avaient bénéficié d’une suite de mobilisations les années précédentes, comme à Gafsa en 2008.

Les leaders politiques et intellectuels n’ont pas été leaders du mouvement, mais l’ont suivi. C’est donc réellement une révolution de la base, populaire. Les seuls militants organisés qui ont eu un rôle important semblent avoir été les militants de base du syndicat unique Union générale tunisienne du travail (UGTT), qui ont coordonné les manifestations entre les villes et encadré les manifestants.

Après la chute du dictateur Ben Ali, le personnel politique qui en était le plus proche a tenté de faire survivre son régime, avec un gouvernement reprenant à peu de chose près les mêmes qu’avant. Suite aux protestations, un nouveau gouvernement a été instauré qui a mis de côté l’ancienne élite politique. Les outils les plus emblématiques de la dictature ont été abolis, la liberté d’expression et d’association rétablie. Il a été créé un Conseil national pour la protection de la révolution, puis un Conseil de la Haute commission pour la réalisation des objectifs de la révolution, la réforme politique et la transition démocratique. Ce dernier conseil réunit 71 personnes, appartenant à l’ancienne élite politique, ou leaders des petits partis et organisations. Sa première réunion le 17 mars 2011 a été un échec en se soldant par le départ de certains membres. Il réunit nombre de personnes qui cherchent essentiellement à exister politiquement, à faire carrière. Le peuple, celui qui a fait la révolution en est absent car il n’y a guère de nouveaux leaders qui en soient issus, ni de processus qui permette aux citoyens d’investir ce type d’institution.

Les jeunes révolutionnaires ont des discours divers sur le rôle des leaders : pour certains, c’est aux vieux de former un gouvernement, quitte à ce que les jeunes le fassent tomber si nécessaire ; d’autres ne veulent pas être dépossédés de leur conquête et veulent être partie prenante de la construction de leur démocratie.

Il faut souligner la détermination affichée par les Tunisiennes, qui entendent jouer leur rôle dans la construction du futur de la Tunisie, et, face à une éventuelle mainmise islamiste sur les institutions, de ne pas se laisser déposséder de leurs acquis, mais de les renforcer.

La démocratie défendue par la plupart des membres du Conseil est essentiellement le droit d’exister, pour eux, le droit d’expression. C’est une démocratie très formelle, qui oublie les choix de valeurs, l’ensemble des droits, les règles économiques qui permettent que la démocratie soit le "pouvoir de ceux qui n’ont aucun titre particulier à l’exercer, c’est-à-dire de tous", et non pas le pouvoir des plus riches ou des plus puissants. Ces "démocrates" visent surtout le pouvoir, mais ne semblent avoir guère de projet économique capable d’assurer un emploi à tous et une juste répartition des richesses.

L’élection d’une Constituante est prévue le 24 juillet 2011. Mais, contrairement à ce que laisse entendre son nom, cette constituante pourrait être chargée non seulement de proposer un projet de constitution, mais aussi de nommer un président de la République, voire d’autres responsables, c’est-à-dire de participer à la mise en place du pouvoir exécutif, voire des pouvoirs législatif. Le mode d’élection des constituants est en discussion, mais on parle de scrutin majoritaire de liste, ou par circonscription... Ce sont là choses habituelles pour l’élection d’un parlement dont émanera un exécutif. Mais cela ouvre grand la porte de la Constituante à tous les opportunistes qui chercheront à se placer. Le projet de constitution aura alors toutes les chances d’être écrit au profit du personnel politique et au détriment du pouvoir de tous.

Cependant, ce personnel politique a peu de légitimité en Tunisie car ce n’est pas lui qui a fait ou inspiré la révolution, exceptions mises à part. C’est bien le peuple qui a acquis la légitimité du pouvoir par sa révolution. Il lui faut donc trouver et imposer des mécanismes qui permettent à chaque citoyen de conserver sa part de pouvoir et non de le déléguer à quelques uns sans contrôle.