La PAC ou politique agricole commune de l’Union européenne

, par Robert Joumard

Nous présentons ci-dessous une synthèse de diverses analyses de la PAC.
Tout d’abord quelques chiffres sur la place de la France dans l’agriculture de l’Union européenne. La France représente 13,9% de la population de l’Union, 11,7% de la population active civile, 13,8% de sa superficie, 16,4% de son financement, 18,7% de sa production agricole en valeur (grâce à l’industrie agro-alimentaire, selon Berthelot, 2010), 7,2% de l’emploi agricole, et 3,6% du nombre d’exploitations agricoles. L’emploi agricole ne fait que 3,4% de la population active civile en France, mais 15% en Pologne et jusqu’à 30% en Roumanie. L’Allemagne et le Royaume-Uni pèsent environ de la moitié aux deux tiers de la France quant à leur agriculture.

La politique agricole commune est la plus importante des politiques communes de l’Union européenne (49% du budget européen), créée par le traité de Rome (1957) et mise en place en 1962 (Vie Publique, 2008). Ses objectifs sont de :
 accroître la productivité agricole,
 assurer un niveau de vie équitable à la population agricole,
 stabiliser les marchés,
 garantir la sécurité des approvisionnements,
 assurer des prix raisonnables aux consommateurs.

Ont été ajoutés depuis (mais cela a disparu du Traité de Lisbonne) :
 le respect de l’environnement,
 le développement rural.

Les agriculteurs bénéficiaient :
  d’aides pour l’importation d’aliments pour bétail ;
  d’aides indirectes : « les prix garantis » comblent la différence entre prix du marché et prix garantis ;
  d’aides directes proportionnelles à la superficie de l’exploitation ;
  de la préférence communautaire qui accorde des avantages par rapport aux produits importés.

La PAC est critiquée à cause de la difficulté à stabiliser son budget, depuis l’élargissement à 27 pays, et à cause de l’inégalité des aides favorisant les pays producteurs et les grandes exploitations.

Depuis la réforme du 26 juin 2003, les aides ne sont plus liées à la production, et les agriculteurs touchent un paiement unique par exploitation s’ils respectent les normes en matière d’environnement et de sécurité alimentaire (Vie Publique, 2008).

Avec le Traité de Lisbonne, l’agriculture n’est plus de la compétence unique de la Communauté mais de compétence partagée entre l’U.E. et les Etats membres, et elle est soumise pour partie (tfue 37/43-2 et 2bis) à la codécision entre le Conseil des ministres et le Parlement, appelée « procédure législative ordinaire ». Les Etats n’ont donc plus la haute main pour décider. L’article tfue 33/39-1 définit toujours l’augmentation de la productivité de l’agriculture comme le premier but de la PAC, mais ne retient par exemple ni le maintien de l’emploi agricole, ni le respect de l’environnement, ni la souveraineté alimentaire comme des buts.

La politique de subvention de ses exportations par l’Union amène J. Ziegler (2008) à l’accuser d’organiser la famine en Afrique en détruisant les productions agricoles locales. Parallèlement, beaucoup d’états surendettés de l’Afrique subsaharienne vendent par le biais d’accords leurs droits de pêche à des entreprises du Japon, d’Europe, du Canada qui ne respectent pas les lois de la pêche. Les Etats africains n’ont cependant aucun moyen de faire respecter ses accords. Cette double politique attire vers l’UE des centaines de milliers d’immigrants clandestins, qui utilisent notamment les barques des anciens pécheurs. La réponse de l’Union est une réponse militaire semi-clandestine par le biais de Frontex : ce n’est pas celle que l’on attend d’un Etat ou d’un groupe d’états démocratiques.

La FNSEA (Plein champ, 2008) proposait de maintenir les instruments de gestion du marché (intervention, jachères, quotas...) qu’elle craignait de voir abandonner par la Commission de Bruxelles lors de la réforme de la PAC. Plutôt que le droit à paiement unique, elle souhaitait plus de flexibilité en fonction de la diversité des situations locales.

Dans son analyse des positions des socialistes et démocrates du parlement européen en matière de réforme de la PAC, J. Berthelot (2010) met en évidence deux points :

1- que les élus socialistes européens sont en accord avec les orientations néolibérales de la commission,

2- que plusieurs chiffres pris en référence pour l’analyse sont faux.

Il y voit beaucoup de bonnes intentions mais de la naïveté et de l’incompétence. Leur vision de la PAC pour 2013 ne parle ni des prix agricoles, ni de protection à l’importation, ni de souveraineté alimentaire. Elle réjouira la Confédération européenne des industries alimentaires et le Bureau Européen des Consommateurs et tous les Etats membres qui veulent démanteler la PAC, en commençant par la protection à l’importation. Mais elle ne sera pas bien reçue par les agriculteurs, y compris les syndicats majoritaires.

La Confédération Paysanne (2010) réclame aussi l’intervention de la puissance publique du nouveau commissaire européen à l’agriculture : « une politique commune qui repose sur des outils de maîtrise et de répartition des volumes de production et qui garantisse ainsi des prix rémunérateurs aux paysans ». Pour elle, les paysans ne veulent pas vivre de l’argent public mais, dignement, de leur travail, grâce au juste prix de leurs produits. La PAC doit donc :
  maintenir les paysans sur tout le territoire et être favorable à l’emploi et à un aménagement équilibré du territoire,
  permettre de développer une agriculture respectueuse de l’environnement et sobre sur le plan énergétique,
  garantir la souveraineté alimentaire.

Parallèlement, un ensemble d’organisations françaises d’environnement, de solidarité internationale et de développement durable, et enfin d’organisations agricoles fait les propositions suivantes pour la PAC (Groupe PAC 2013, 2010) :
  orienter les marchés agricoles vers la satisfaction du marché intérieur et la production à forte valeur ajoutée,
  supprimer les subventions,
  réguler les prix à un niveau rémunérateur stable,
  paiement direct, sur la base des services rendus par l’agriculture à la société (maintien du tissu rural),
  promouvoir une agriculture durable qui respecte l’environnement,
  créer des emplois et compenser les handicaps naturels,
  favoriser la qualité, la réduction du gaspillage et les circuits courts.

La Confédération Paysanne (2009) a fait des propositions plus détaillées pour la loi de modernisation agricole :
  Alimentation : relocaliser les productions, donner la priorité aux productions alimentaires, développer l’agriculture paysanne et biologique, étiqueter les produits sans OGM, et établir un bilan carbone.
  Territoires : favoriser la transmission des petites et moyennes exploitations, favoriser un meilleur rapport foncier / emploi, supprimer la défiscalisation du carburant, prendre en compte la biodiversité, et transformer et vendre localement.
  Emploi : limiter les ressources rares (énergie et foncier), valoriser l’emploi par la fiscalité, aider les pluriactifs en fonctions de leurs revenus non agricoles, développer l’enseignement agricole biologique et paysan, favoriser l’installation de nouveaux agriculteurs, et garantir une retraite d’au moins 80% du SMIC.
  Compétitivité et revenu des exploitations : plafonner les aides et mieux les répartir, rechercher la viabilité du système d’exploitation plutôt que la compétitivité, lier les prix minimums aux coûts de production, développer une agriculture autonome, diversifiée, préservant la nature, sans OGM, une agriculture qui garantisse la souveraineté alimentaire, revoir les coopératives, la contractualisation et les systèmes assurantiels, et interdire, par la loi, la vente à perte.
  Production : assurer la proximité et la complémentarité agronomie et zootechnie, désintensifier et économiser les intrants, assurer la maîtrise des semences pour les agriculteurs, adapter la production à la ressource en eau, prendre en compte la biodiversité, créer et développer une commercialisation locale (restauration collective).
  Représentation syndicale : financement basé sur le seul nombre de votes obtenus, et permettre à tous les syndicats représentatifs d’intégrer toutes les interprofessions.
  Accès au statut de chef d’exploitation : les cotisations solidaires des non retraités doivent leur valoir statut de chef d’exploitation, supprimer le seuil d’une demi surface minimum d’installation (SMI), entre autres.
  Foncier : limiter les prérogatives des SAFER, favoriser la transparence des opérations, plafonner les surfaces qui peuvent annuellement changer d’affectation, encadrer les prix du foncier à bâtir, et enfin alimenter, fiscalement, un fonds pour la préservation du foncier.

Enfin, en ce qui concerne l’agriculture biologique, il n’y avait en France que 16 400 producteurs de bio en 2009 et ils occupent 2,5% de la surface utile agricole. Compte tenu de la demande, 30% des ventes résultent d’importations dont les deux tiers pourraient être produits en France. L’avenir du bio, en France, passe selon S. Fabrégat (2010) par une organisation des filières. Si le Plan Barnier a créé un appel d’air et développé la demande, les politiques agricoles européennes et françaises ne sont pas favorables au bio. La PAC, par exemple favorise surtout le maïs, plutôt que les herbages. En effet, la France a choisi d’utiliser la PAC pour subventionner les grandes cultures d’exportation, alors que l’Autriche et l’Italie l’utilisent pour soutenir l’agriculture biologique. Il faut donc soutenir les initiatives locales :
  pour rendre les productions locales compétitives (marchés bio, AMAP...),
  en respectant la saisonnalité des produits (proximité),
  en obtenant que les coopératives jouent leur rôle,
  avec l’aide des collectivités territoriales (cantines bio, contrats avec des producteurs locaux, soutien...).

Les objectifs à assigner à la politique agricole commune réformée, version 2013, devraient être :

1/ assurer l’autosuffisance alimentaire de l’Union Européenne en fonction de son potentiel géographique ;

2/ assurer aux agriculteurs un revenu décent qui soit fonction de leur travail , de leur contribution à l’environnement et des conditions géographiques ;

3/ protéger la nature et la biodiversité, par l’interdiction d’une agriculture non raisonnée et un fort développement de l’agriculture biologique, pour maintenir l’emploi agricole sur tout le territoire ;

4/ arrêter toute subvention à l’exportation susceptible d’interférer avec le développement de l’agriculture alimentaire des pays du Sud ;

5/ en cas d’excédents, les attribuer à des organismes tels que les restos du cœur, les cantines scolaires, la banque alimentaire, pour éviter leur accumulation ;

6/ assurer le financement de la formation agricole.

Tout ceci, bien sûr, par la négociation entre les parties concernées et le débat public.

Références

Berthelot Jacques (analyse critique) et texte de Socialistes et démocrates du Parlement européen, 2010 : Une PAC nouvelle au delà de 2013. ATTAC France, Lettre du Conseil scientifique, n°30, 23 mars 2010.

Confédération paysanne, 2009 : Loi de modernisation agricole. 14 octobre 2009, 25 p.

Confédération paysanne, 2010 : Nouvelle commission européenne : la Confédération paysanne interpelle Dacian Ciolos. Communiqué de presse, 8 février 2010.
www.confederationpaysanne.fr/nouvelle_commissio_europeenn_confederation_pa_21.php&actualite_id=1588

Fabrégat Sophie, 2010 : L’avenir du bio en France passe par une organisation des filières. Actu-Environnement.com, 22 février 2010.

Groupe PAC 2013, 2010. Pour une politique agricole, alimentaire, environnementale et rurale européenne - Constats, propositions et leviers d’action. 18 février 2010, 17 p.
www.pouruneautrepac.eu/2010/02/18/propositions-pour-sauver-la-pac/

Plein champ, 2008. La FNSEA veut maintenir les outils de gestion de marché.
www.pleinchamp.com/article/detail.aspx?id=31330&page=1&local=false&pub_id=2&menu_id=2

Vie Publique, 2008. Qu’est-ce que la politique agricole commune (PAC) ? 16 mai 2008.
www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/union-europeenne/action/politiques-communautaires/qu-est-ce-que-politique-agricole-commune-pac.html

Ziegler Jean, 2008. Les réfugiés de la faim. Le Monde Diplomatique, mars 2008.