Analyse comparative de différents projets de RIC

, par Robert Joumard

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Exigence ancienne de plusieurs mouvements, le référendum d’initiative citoyenne ou RIC est l’une des principales revendications sinon la revendication principale des Gilets jaunes qui l’ont ainsi remise sérieusement à l’agenda politique. Aussi, le président de la République et son gouvernement l’envisagent-ils et pourraient-ils faire une proposition de RIC qu’il faudra analyser en détail et rapidement.

Nous nous proposons ici de mener une analyse comparative de onze projets de RIC récemment élaborés (hors celui de Condorcet) sans viser l’exhaustivité :

  Le projet [1], de Condorcet de 1793, auquel revient la paternité du RIC. Il proposait que quand 50 citoyens d’un même quartier lançaient une proposition de référendum, cette dernière devait ensuite être votée par référendum dans le quartier, puis dans la commune, puis dans le département, et enfin par le parlement national. Mais si un autre département était opposé au résultat du vote du parlement, ce dernier était dissous. La Suisse a été le premier pays à l’adopter au milieu de 19e siècle. D’autres ont suivi, ils seraient 40 aujourd’hui [2]. L’idée de Condorcet semble être reprise par certains Gilets jaunes aujourd’hui, en s’inspirant des assemblées constituantes proposées par Étienne Chouard.

  L’association "Article 3" promeut le référendum d’initiative citoyenne ou RIC "en toutes matières", sans autre condition. Elle propose de modifier six articles de la Constitution. Son projet est très peu détaillé afin d’obtenir l’appui du plus grand nombre [3].

  Quentin Girault étudie d’un point de vue juridique et très en détail dans sa thèse soutenue en 2017 [4] un modèle de RIC compatible avec la Constitution actuelle. Il propose entre autres que le recueil de signatures soit à la charge de l’État et insiste sur la qualité juridique indispensable d’un projet de RIC, qui doit être contrôlée.

  La France Insoumise a fait une proposition de loi constitutionnelle en la matière le 8 janvier 2019 [5]. C’est une proposition assez large, qui concerne la proposition et l’abrogation d’une loi (ordinaire, organique ou constitutionnelle) ou d’un acte d’une collectivité locale, la révocation de tout élu, et la convocation d’une constituante. Les seuils de pétition sont à définir par des lois organiques, mais avec des limites maximales de 2 % pour le RIC législatif et abrogatoire, et de 5 % pour le RIC révocatoire. Le seuil est défini à 5 % pour le RIC constituant.

  Le politologue Yves Sintomer a proposé un RIC dans plusieurs articles entre mi-décembre 2018 et fin février 2019 [6], [7], [8]. Sa proposition en reste aux grands principes sans entrer dans les détails. Il propose toutefois un seuil autour de 800 000 signatures, le filtre du Conseil constitutionnel, une limite aux dépenses et une assemblée de citoyens tirés au sort.

  Le professeur de droit public Dominique Rousseau propose aussi en décembre 2018 quelques éléments de définition d’un RIC, avec notamment un seuil de 700 000 signatures répartis sur des départements et un contrôle de constitutionnalité [9].

  La commission démocratie d’Attac et Sciences citoyennes (Attac-SC) ont publié un projet début janvier 2019 [10]. Ils proposent un RIC très large, avec un seuil de déclenchement assez bas, et surtout une convention de citoyens chargée de donner un avis circonstancié sur le projet.

  Les Gilets jaunes de Montpellier ont écrit en janvier 2019 une proposition de loi constitutionnelle instituant le RIC [11] issue d’une discussion avec 180 personnes. Ils proposent des seuils de signatures allant de 1 à 5 % selon le type de RIC et un seuil de succès à la majorité simple (et des 3/5 pour un RIC constitutionnel) associé à une participation de 30 % des inscrits. L’originalité du projet est de prévoir un comité de contrôle et un comité d’information formés de citoyens tirés au sort et chargés respectivement de vérifier les signatures, la validité du projet et son respect des droits fondamentaux pour le premier, et pour le second de veiller à la pluralité des opinions et surtout de gérer une chaîne de télévision dédiée. Cette proposition est présentée plus en détail en annexe 1.

  Neuf auteurs emmenés par Loïc Blondiaux ont publié le 19 février 2019 une note de Terra Nova proposant un « référendum d’initiative citoyenne délibératif » [12]. Cette proposition, qui ne traite que du RIC législatif, est la plus détaillée, décrivant par le détail le protocole du RIC du début à la fin [13]. Elle insiste sur la nécessité d’une assemblée citoyenne pour évaluer les conséquences du projet comme de son refus, sur les limites au financement de la campagne de recueil des signatures et de la campagne pour ou contre la question soumise à référendum. Nous en donnons une description détaillée en annexe 2.

  Stéphane Schott, maitre de conférence en droit public, fait en mars 2019 une proposition assez classique avec un seuil de 2 % de signatures, mais ajoutant la possibilité d’éviter le référendum si le Parlement vote le projet sans le modifier, la possibilité pour l’exécutif ou le législatif de proposer un projet alternatif, et des délais minimaux avant d’abroger une loi [14].

  Fabrice Gagnant défend un projet dit « RIC 2.0 » . S’il prévoit bien un processus d’initiative citoyenne sans entrer dans les détails, il ne prévoit pas de référendum, mais un vote par une assemblée assez large de citoyens tirés au sort appelée « filtre citoyen ». Ce n’est donc pas un RIC malgré son nom, mais un mode de vote des décisions intermédiaire entre la voie parlementaire et la voie du référendum, ce que propose aussi Sintomer 8. Pour cette raison, nous ne le traiterons pas plus avant.

Après avoir défini le RIC, nous allons regarder ces différents projets quant au champ couvert, à la formation de l’initiative jusqu’au filtre des signatures, au débat public sur la proposition de RIC, et enfin quant au référendum lui-même. Les propositions de RIC sont plus ou moins détaillées et sont assez diverses. Quand, pour une caractéristique des RIC, une proposition n’est pas citée dans ce qui suit, c’est qu’elle ne traite pas de cette caractéristique.

1. Qu’est-ce qu’un RIC ?

Le RIC non révocatoire doit avoir une valeur décisionnelle impersonnelle. Il affecte potentiellement le droit existant, son objet étant alors une norme juridique générale, ou vise tout autre décision publique (décret, arrêté, mandat de négociation, etc.). Cela exclut donc un référendum visant à rendre justice, c’est-à-dire à condamner ou non une personne physique ou morale.

Il se termine normalement par un référendum, c’est-à-dire le vote au suffrage universel d’une proposition. On peut éventuellement inclure aussi une initiative qui vise simplement l’inscription d’un projet de loi à l’ordre du jour du Parlement, bien que ce ne soit pas formellement un RIC, mais seulement une initiative législative citoyenne.

Le RIC se caractérise enfin par la qualité de ses initiateurs, qui sont des citoyens et non des élus (en tant que tels).

Hors Condorcet qui propose une initiative très locale, puis des votes successifs dans des espaces géographiques de plus en plus grands, pour tous les autres projets le déclenchement du RIC passe par la signature (une pétition) d’un assez grand nombre de citoyens, appelé seuil, palier ou filtre. Nous nous concentrons sur cette dernière procédure, en laissant de côté la procédure de Condorcet, peu opérationnelle. Cette première période est suivie d’une période de débat public, puis du référendum lui-même.

2. Champ couvert

Le champ est généralement bien défini, hors la proposition d’Article 3 dite « en toutes matières » qui n’interdit donc pas les mesures personnelles, ni les mesures contraires par exemple aux droits humains. Dans tous les autres cas, le champ est plus réduit et correspond à la définition d’un RIC précisée plus haut.

Le champ peut tout d’abord être caractérisé par son domaine géographique ou administratif : réduit aux questions nationales ou étendu aux décisions des collectivités locales. La plupart des projets ne concernent que le niveau national, hors ceux d’Attac-SC et de LFI qui concernent aussi les décisions des collectivités locales, et hors le cas du référendum révocatoire qui s’applique à tout élu (de l’élu municipal au président de la République).

On distingue ensuite quatre types de RIC : législatif (voter une nouvelle loi ordinaire, organique, ou constitutionnelle afin de réviser la Constitution sur un point), abrogatoire (abroger une loi existante), révocatoires (révoquer un élu) et de convocation d’une assemblée Constituante. Certains projets considèrent le vote d’une loi constitutionnelle comme un type spécifique, plus ou moins confondu d’ailleurs avec un RIC visant la convocation d’une constituante. Toutes les propositions traitent du RIC législatif, Schott y ajoute le RIC abrogatoire, tandis qu’Article 3, LFI, Attac-SC, et Gilets jaunes de Montpellier considèrent les quatre types.

Alors que certaines constitutions étrangères excluent les aspects budgétaires par exemple, aucune exclusion de ce type n’est mentionnée dans les projets examinés.

3. Formation de l’initiative

L’initiative citoyenne passe d’abord par une phase de mise au point qui n’est régulée par aucune proposition. Puis vient la phase publique quand le projet d’initiative en vue d’un RIC est publié afin de récolter les signatures nécessaires à la mise en œuvre du référendum. Cette phase de formation de l’initiative est plus ou moins régulée selon les propositions, notamment en terme du nombre minimal de signatures à récolter en un laps de temps limité.

3.1. Organisation générale

Si tous les auteurs s’accordent sur la nécessité d’un nombre minimal de signatures de citoyens, seul Giraud prévoit sur le modèle suisse qu’un comité d’initiative soit créé et qu’il soit responsable de l’initiative. Il discute sa composition (avec ou sans personnes morales ?) et le nombre de membres (7 à 27 membres en Suisse par exemple).

3.2. Financement

Le mode de financement de la campagne pour obtenir des signatures n’est précisé que par Blondiaux et coll., avec un financement uniquement citoyen dans la limite de 750 € par personne. Il prévoit un comité de financement, sur le modèle des élections actuelles.

Sintomer prévoit de limiter les dépenses de cette campagne, sans autre précision.

3.3. Seuil

Giraud fait remarquer que l’Institut européen sur l’initiative et le référendum considère qu’au-delà d’un seuil de 5 % des inscrits, l’exercice du droit d’initiative relève de l’impossible. À l’autre extrême, Huguette Bouchardeau, candidate du PSU à l’élection présidentielle de 1981, proposait un seuil de 100 000 citoyens.

Les seuils des propositions analysées sont généralement exprimées en pourcentage des inscrits (sachant qu’il y a près de 48 millions d’inscrits en France) : 1 % pour Attac-SC pour tous les RIC ; pour un RIC législatif ou abrogatoire 1 % pour les Gilets jaunes de Montpellier, et inférieur ou égal à 2 % pour LFI ; pour un RIC législatif seulement 2 % pour Sintomer, Rousseau, Blondiaux et Schott ; 4 % pour Blondiaux pour un RIC abrogatoire ou un RIC législatif portant sur le budget ou une loi organique ; pour un RIC révocatoire 2 % pour les GJ de Montpellier, mais inférieur ou égal à 5 % pour LFI ; et enfin 5 % pour un RIC constitutionnel pour LFI et les GJ de Montpellier.

Attac-SC propose de définir plutôt un seuil en rapport avec le nombre de voix obtenues par l’exécutif ou le législatif (président, majorité gouvernementale, liste majoritaire pour les collectivités locales...), arguant que la légitimité d’un RIC doit se mesurer à la légitimité de l’exécutif ou du législatif.

3.4. Durée

La durée de la période de récolte des signatures est de trois mois pour Schott, six mois pour les Gilets jaunes de Montpellier et Blondiaux. Attac-SC prévoit une durée de l’ensemble du processus (du dépôt de l’initiative jusqu’au référendum) de neuf à douze mois.

3.5. Contrôles

La plupart des propositions prévoient un contrôle de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel (ou le Conseil d’État), sauf les Gilets jaunes de Montpellier qui prévoient de contrôler le respect des droits humains par un jury de citoyens tirés au sort.

Les autres contrôles concernent la vérification des signatures, le respect des règles, la conformité du projet de RIC avec les normes supérieures, et sa qualité juridique formelle (clarté, unité de forme, de rang, de matière). Blondiaux confie cette responsabilité à la Commission nationale du débat public (CNDP), tandis que les Gilets jaunes la confient au même jury citoyen que plus haut.

4. Rôle éventuel du Parlement

Blondiaux propose que toute initiative n’atteignant pas le seuil de signatures requis mais en obtenant au moins la moitié soit inscrite d’office à l’ordre du jour du Parlement.

Schott envisage que le Parlement puisse adopter le projet de RIC sans le modifier dans les six mois suivant l’obtention des signatures, ce qui stopperait le RIC en cas d’adoption. En cas de refus, le référendum aurait lieu dans les six mois suivant l’expiration du délai d’examen par le Parlement.

Pour Sintomer, il faut laisser la possibilité au Parlement d’accepter tout ou partie de la proposition, voire de proposer une contre-proposition, le choix ultime restant bien sûr entre les mains des citoyens.

5. Campagne référendaire et débat public

Une fois le référendum acquis s’ouvre une campagne référendaire permettant le débat public devant permettre aux citoyens de se déterminer. Trois caractéristiques sont traitées : le financement de la campagne, l’organisation du débat public, et la durée de cette phase.

5.1. Financement

Plusieurs propositions s’attachent à limiter et réguler le financement du débat public pour éviter que des intérêts privés et disposant de beaucoup de moyens comme les lobbies et les entreprises aient une influence trop grande sur le résultat.

Sintomer comme Attac-SC proposent de limiter drastiquement le financement, sans plus de détail.

Blondiaux et coll. proposent que seules les associations existantes puissent financer la campagne sur leur budget habituel, ainsi que deux associations nationales créées spécifiquement pour le oui ou le non, seules habilitées à recevoir des dons, et des seuls citoyens, limités à 30 euros par citoyen. Il propose en outre que ces deux associations reçoivent une somme forfaitaire de l’ordre de 150 000 euros de l’État.

5.2. Débat public


Pour que le peuple souverain se prononce non pas sur une proposition brute et nue, mais sur une proposition débattue et raisonnée collectivement, trois propositions intègrent un temps de réflexion collective. Dans ce but, Sintomer, Attac-SC et Blondiaux proposent une assemblée de citoyens tirés au sort, chargée pour Attac-SC de donner un avis sur le projet, et pour Blondiaux de réaliser une étude d’impact du oui et du non. Ces productions sont ensuite adressées aux électeurs.

Pour Attac-SC, cette assemblée est un convention de citoyens (précisément définie par ailleurs), rassemblant de 15 à 20 citoyens représentatifs en excluant tout spécialiste de la question, indemnisés mais non rémunérés et se réunissant 3 ou 4 weekends de suite. Ils sont formés pendant deux weekends par des experts choisis par un comité de pilotage pluriel, puis par des experts choisis par eux-mêmes pendant un weekend.

Pour Blondiaux, cette assemblée rassemble 100 citoyens et éventuellement un représentant par groupe parlementaire. Ils sont rémunérés et se réunissent une semaine par mois pendant 3 mois. Ils entendent des experts.

Les Gilets jaunes de Montpellier ne prévoient pas d’assemblée citoyenne chargée d’éclairer le débat, mais proposent un comité de citoyens tirés au sort chargé de veiller sur l’impartialité et l’indépendance de l’information dispensée par les médias. Ce comité contrôle en outre une chaîne de télévision publique créée spécialement et dédiée aux RIC.

Les chaînes publiques réservent un temps d’antenne à parité pour le oui et le non (Blondiaux), tandis que les Gilets jaunes prévoient que les informations de la chaîne dédiée soient diffusées sur les télévisions dominantes sur des créneaux obligatoires, et qu’une double page soit incluse dans les journaux dominants tous les dimanches.

5.3. Durée

La phase de débat public dure six mois pour LFI et les Gilets jaunes.

6. Seuil de succès du référendum

Pour toutes les propositions, la majorité des suffrages exprimés est nécessaire pour qu’un référendum soit un succès, sans toutefois que la notion de suffrages exprimés soit précisée (avec ou sans les votes blancs ?). Pour un RIC constitutionnel, Article 3 et les Gilets jaunes de Montpellier prévoient une majorité renforcée à 60 %.

Les Gilets jaunes demandent en outre une participation de 30 % des inscrits, Blondiaux et coll. une participation de 50 % des inscrits.

Attac-SC propose de remplacer ce seuil de participation par un nombre de votes favorables au moins égal au nombre de voix obtenues par la majorité aux dernières élections (ou une proportion à définir).

7. Conclusion

Les différentes caractéristiques que nous avons abordées ci-dessus peuvent apparaître comme des détails. Mais nombre de ces caractéristiques, bien choisies, peuvent rendre ineffectif le droit d’initiative : des seuils de signatures ou de votes très élevés, des durées trop courtes, etc.

D’autres caractéristiques ont pour but de limiter autant que faire se peut l’influence des lobbies privés et notamment des entreprises, car ces dernières ne sont pas des citoyens et ne doivent donc pas inférer sur leur souveraineté, et de donner aux citoyens une information variée et de qualité sur l’objet du RIC.

Ces caractéristiques sont donc très importantes si l’on tient au caractère citoyen de l’initiative et au caractère démocratique du référendum. Se pose alors la question de la voie choisie pour les définir : la Constitution ou une loi organique ? Passer par la Constitution est assez lourd mais donne plus facilement le pouvoir au peuple ; passer par une loi organique, votée a priori par le Parlement, donne beaucoup de pouvoir aux élus qui risquent bien de chercher à limiter au maximum le pouvoir des citoyens au bénéfice de leur propre pouvoir. Ou il faudrait imposer que la loi organique fasse l’objet d’un référendum.

Annexe 1 : caractéristiques du RIC des Gilets jaunes de Montpellier

Le référendum d’initiative citoyenne ou RIC proposé par Gilets jaunes de Montpellier a les caractéristiques ci-dessous, présentés par ordre chronologique du processus, avec nos commentaires en italiques :

A. Le référendum d’initiative citoyenne est dit en toutes matières, et plus précisément donne aux citoyens le pouvoir de légiférer, d’abroger une loi, de révoquer un élu ou de modifier la Constitution. Son objet doit respecter les droits fondamentaux.

Le RIC n’est donc pas à proprement parler en toutes matières puisque son objet est précisément défini et limité.

B. Un élu est révoqué exclusivement par les électeurs de la circonscription électorale qui l’ont élu. Le référendum révocatoire peut permettre en outre de révoquer des dirigeants notamment d’entreprises publiques.

Dans ce dernier cas, le RIC devrait abroger un décret.

C. Il est déclenché par pétition en 6 mois.

D. Le seuil de pétition est de 1 % du corps électoral pour le RIC législatif et abrogatoire, de 2 % pour le RIC révocatoire, et de 5 % pour le RIC constitutionnel.

E. L’élargissement du droit d’initiative à d’autres que les citoyens français inscrits sur les listes électorales doit être débattu : non-inscrits, mineurs de 16 ans, étrangers vivants en France depuis plus de trois ans, etc.

F. Un organe de contrôle formé de citoyens tirés au sort vérifie la validité des signatures, la liberté du vote, la validité du projet, la conformité aux droits fondamentaux. La liberté du vote implique que la question soumise au vote soit claire (non obscure ou ambiguë), qu’elle n’induise pas en erreur, qu’elle ne suggère pas une réponse, que l’électeur soit informé des effets du référendum et que les participants au scrutin répondent par oui, non ou blanc à la question posée. La validité du projet implique qu’une même question ne doit pas combiner un projet particulier et une question de principe, que le texte soit homogène c’est-à-dire ne comporte pas des dispositions sans lien entre elles, que le texte ne puisse comporter que des règles de même niveau juridique (on ne peut mélanger une loi et un article constitutionnel), et que le texte respecte le droit international.

La compatibilité avec les conventions internationales pose question : aucun RIC n’étant possible au niveau international, cela revient à limiter la souveraineté du peuple. Si un RIC est contraire à une convention internationale, la proposition devrait se transformer en une proposition de modification de la convention, voire de dénonciation de cette convention. Cela demande d’intégrer les conventions internationales dans le champ du RIC, ce qui passe par un acte législatif.

G. Les employeurs ont l’obligation de ne pas pénaliser un tiré au sort.

H. Une fois la pétition validée, une phase de six mois est consacrée au débat public.

I. Un organe d’information est créé qui veille sur l’information impartiale et indépendante en matière de RIC. Il est composé de citoyens tirés au sort. Les employeurs ont l’obligation de ne pas pénaliser un tiré au sort.

J. Une chaîne de télévision dédiée aux RIC est créée. Elle est contrôlée par l’organe d’information, et financée exclusivement par le public. L’information de cette chaîne est diffusée en outre sur les chaînes dominantes à des créneaux horaires obligatoires. Les grands journaux doivent consacrer une part de leur format à ces informations. Un site web spécifique est créé.

K. Trois jours de vote sont prévus.

L. Le seuil de succès est une participation minimum de 30 % des inscrits et la majorité simple, sauf pour le RIC constitutionnel où la majorité est supérieure, à 60 % de votes favorables.

M. Un organe de contrôle du référendum peut être créé, selon les mêmes modalités que les organes de contrôle de la pétition et d’information. À défaut, le Conseil constitutionnel se prononcera sur la validité du référendum.

La participation de 30 % des inscrits peut être instrumentalisée : pour faire échouer un RIC dont les sondages annoncent un succès net, il suffit d’appeler les partisans du non à ne pas participer. Ainsi un RIC qui aurait obtenu 25 % d’avis favorables parmi les inscrits serait rejeté s’il avait recueilli moins de 5 % des inscrits d’avis défavorables. Mais un RIC avec 15,5 % de oui parmi les inscrits et 14,5 % de non parmi les inscrits serait gagnant... Outre une majorité de votes favorables, il serait judicieux de remplacer le seuil de participation par un pourcentage minimum de votes favorables par rapport aux inscrits, par exemple de 20 % des inscrits.

N. Seul un RIC peut modifier le résultat d’un RIC, au minimum trois ans après sa mise en application.

O. La Constitution ne peut être modifiée que par un RIC.

Annexe 2 : caractéristiques du RIC délibératif de Blondiaux et coll.

Le référendum d’initiative citoyenne ou RIC proposé par Blondiaux et coll. a les caractéristiques ci-dessous, par ordre chronologique au sein de l’ensemble de la procédure, avec nos commentaires en italiques :

a. Les campagnes de pétition destinées à obtenir l’ouverture d’un référendum doivent faire l’objet de la création d’une association de financement et de la désignation d’un mandataire financier dans les mêmes conditions que n’importe quelle campagne électorale. Cette association est la seule habilitée à recevoir des dons. Son budget doit être soumis, une fois la pétition déposée et validée, au contrôle de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques qui rend publics les comptes.

Les points a à d ci-dessous visent à prévenir que de puissants intérêts privés fassent adopter des lois qui les favorisent ou les protègent. La loi française s’est ainsi efforcée de limiter l’influence des lobbies économiques en interdisant le financement des partis politiques et des candidats aux élections par les entreprises privées. Pour les RIC, certains exemples étrangers (Suisse, Californie) montrent que les chances de collecter de nombreuses signatures et donc de pouvoir obtenir l’organisation d’un référendum sont d’autant plus grandes que ses promoteurs disposent de moyens financiers importants.

b. Tout achat de signatures, assimilable à un achat de voix, entraîne l’invalidation automatique de la pétition.

Ce point b peut cependant être instrumentalisé par des opposants au projet de RIC qui achèteraient des signatures pour faire capoter le projet. Il serait plus judicieux que les voix achetées soient annulées et que les organisateurs de l’achat et les citoyens complices soient poursuivis pénalement.

c. Les dons à cette association ne peuvent émaner que de particuliers, dans la limite de 750 euros par personne et par initiative. Le recours à des prestataires privés pour collecter des signatures est interdit. Le recours à la publicité privée devra être sérieusement encadré.

La limite de 750 euros par don de particulier énoncée ici correspond au dixième de la limite actuelle de financement d’une campagne électorale nationale par un particulier, dont on sait aujourd’hui combien cette limite favorise la mainmise des plus riches sur l’élection [15]. Cette limite nous semble donc trop élevée, car favorisant les citoyens aisés. Une limite de l’ordre de 100 euros au plus nous paraît préférable. Ce point interdit en outre le financement par les associations de citoyens : or ce sont bien des citoyens regroupés qui sont généralement à l’origine de propositions de RIC. Nous proposons de permettre aux associations de participer au financement des campagnes de collectes de signatures, dans une limite de l’ordre de un euro par citoyen adhérent à chacune d’elles (les associations qui fédèrent des entreprises et non des citoyens seraient ainsi exclues du financement).

d. La fixation d’un plafond de dépenses permettra d’éviter le détournement du RIC au profit de puissants intérêts privés.

e. Les signatures sont recueillies et traitées sur une plateforme numérique publique et sécurisée placée sous la responsabilité de l’institution indépendante en charge du processus, par hypothèse la Commission nationale du débat public (CNDP). L’enregistrement des signatures pourra se faire soit directement sur la plateforme, soit en mairie avec l’aide d’un agent public.

f. Le nombre minimum de signatures requis est fixé à 2 % du corps électoral (soit environ 900 000 personnes actuellement). Ce point, en fixant un seuil assez élevé, vise à nécessiter un vrai effort de mobilisation et à limiter le risque d’inflation électorale.

Si le premier objectif est louable, le risque d’inflation n’est pas démontré ni même analysé, bien que la note liste les très nombreux RIC étrangers, mais sans évaluer un éventuel lien entre seuil et fréquence des RIC. En Suisse et en Italie, malgré un seuil bas (environ 1% des électeurs), il n’y a pas inflation. Nous proposons un seuil proche de ces seuils suisse et italien. La note ne suit pas non plus les exemples de la Californie (40 millions d’habitants) et de l’Arkansas (3 millions d’habitants) qui fixent un seuil de signatures en pourcentage du nombre de votants à la dernière élection au poste de gouverneur (respectivement 5 et 8 %). On pourrait fixer un seuil de l’ordre de 2 % des électeurs ayant participé au second tour de la dernière élection présidentielle. Cette méthode a l’avantage de faire un parallèle entre la légitimité des élus et celle des initiateurs d’un RIC.

On pourrait aussi fixer un seuil pour une à quelques années, puis le redéfinir en fonction de l’expérience.

g. Le seuil de souscriptions est double pour les RIC d’abrogation, ainsi que pour les propositions portant sur des questions fiscales ou des lois organiques. Ce point prévoit des conditions de validité plus exigeantes pour le RIC abrogatif que pour le RIC constructif, car il propose au peuple de défaire ce qui a été fait par ses élus, et organise ainsi l’affrontement de deux sources de légitimité.

Cette dernière affirmation est étonnante car le Parlement n’étant que le représentant du peuple qui est seul souverain, sa légitimité est clairement moindre que celle du peuple. Ce point prévoit aussi des seuils plus élevés pour les questions fiscales, alors qu’il n’y a pas de règle parlementaire différente en matière fiscale. Il nous semble plus opportun de prévoir qu’un RIC visant à diminuer les recettes doit être accompagné d’une proposition précise de diminuer les dépenses et que parallèlement un RIC visant à augmenter les dépenses soit accompagné d’une proposition d’augmenter les recettes (comme c’est le cas au Parlement). La note prévoit aussi des seuils plus élevés pour un RIC portant sur une loi organique, ce qui peut être justifié car c’est aussi le cas au Parlement.

h. Les signatures devraient être réunies en moins de six mois.

Cette période de signatures est médiane par rapport aux RIC étrangers.

i. La question posée par le RIC doit porter sur un sujet unique et respecter le principe d’unité de matière, de manière à assurer la clarté et la loyauté du scrutin.

Ce point i énonce une condition essentielle pour la clarté et la loyauté des débats, que l’on retrouve pour les lois parlementaires.

j. Il pourrait en outre être envisagé d’interdire les RIC dans l’année précédant la fin de la mandature, soit un an avant l’élection législative, pour éviter des formes de pré-campagne législative implicites.

Il nous semble préférable d’interdire tout référendum dans les six mois avant et après une élection législative.

k. La Commission nationale du débat public (CNDP) examine la recevabilité de la proposition de RIC. Soit elle la juge recevable et la transmet immédiatement au Conseil constitutionnel, soit elle la juge irrecevable et la rejette en motivant sa décision. Dans ce dernier cas, le ou les auteurs du projet peuvent faire appel de cette décision devant le Conseil constitutionnel.

Mais que recouvre la « recevabilité » d’une proposition ? Qu’il s’agit bien d’une question à débattre, acceptable en tant que question ? La réponse est rien moins qu’évidente. Qu’il y a une opportunité ou une urgence à en débattre ? Difficile aussi à déterminer.

l. La proposition doit respecter la Constitution et les conventions internationales. Le Conseil constitutionnel est chargé de le vérifier.

Ce point l ne pose pas de problème quant au contrôle de constitutionnalité. En revanche la compatibilité avec les conventions internationales pose question : aucun RIC n’étant possible au niveau international, cela revient à limiter la souveraineté du peuple. Si un RIC est contraire à une convention internationale, la proposition devrait se transformer en une proposition de modification de la convention, voire de dénonciation de cette convention. Cela demande d’intégrer les conventions internationales dans le champ du RIC, ce dont ne traite pas la proposition de Blondiaux et coll.

m. Une fois le référendum validé, toute association à but non lucratif a le droit de faire campagne pour ou contre la question soumise à référendum et d’y engager une partie de ses fonds propres mais ne peut lever des fonds spécifiques pour participer à la campagne référendaire. Seule une association nationale destinée à soutenir le « oui » ou le « non » est habilitée à recevoir des dons spécifiques, sous forme uniquement individuelle, et plafonnés à 30 euros par citoyen en âge de voter. Ce point vise à prévenir l’influence des lobbies économiques.

n. Une somme forfaitaire, à déterminer par la loi, ne devant pas excéder 150 000 euros, est versée sous forme de subvention à ces associations nationales si elles sont constituées. Ce point vise à favoriser l’expression des citoyens les moins aisés.

o. Toute proposition de RIC n’atteignant pas le seuil de signatures requis mais en obtenant quand même la moitié pourrait être inscrite d’office à l’ordre du jour des assemblées. Cette clause est justement nommée « droit d’interpellation » par le texte de Blondiaux et coll.

p. Si plusieurs propositions de RIC arrivent simultanément, soit c’est la proposition qui a réuni le plus grand nombre de signatures qui est examinée en priorité, soit, afin de concentrer l’attention publique et l’effort d’information et de délibération, on limite à trois le nombre de campagnes simultanées.

q. Le RIC intègre un temps de réflexion collective organisée qui permette de se prémunir autant que possible contre les manipulations de l’opinion, de mieux appréhender les conséquences du choix collectif et de les porter à la connaissance des citoyens au moment de voter. Le but est de demander au peuple souverain de se prononcer non sur une proposition brute et nue, mais sur une proposition débattue et raisonnée collectivement.

r. Pour ce faire, une assemblée de citoyens est constituée, ayant pour fonction de réaliser une étude d’impact en auditionnant les experts et en synthétisant les études existantes, puis de rédiger et d’adopter un rapport de quelques pages exposant les conséquences pratiques (budgétaires, économiques, réglementaires, environnementales, sociétales, etc.) de chacune de deux options (vote du projet ou rejet), texte qui sera ensuite communiqué aux électeurs avec le matériel électoral.

Les points q et r ci-dessus sont essentiels. Ils permettent de contrer au moins partiellement le poids des grandes fortunes dans la presse et l’instrumentalisation des fausses nouvelles. Cela pose la question plus générale de la presse, dont le rôle est théoriquement – et que théoriquement malheureusement – d’organiser le droit d’informer et le droit à l’information
 [16]...

Cependant l’assemblée citoyenne est prioritairement orientée sur une étude d’impact des options. Ne faudrait-il pas plutôt qu’elle étudie plus généralement les conséquences du projet de loi ainsi que de ses alternatives (dont son rejet) ?

s. Cette assemblée est composée de 100 citoyens tirés au sort sur les listes électorales et si possible d’un député par groupe parlementaire constitué à l’Assemblée nationale et au Sénat (soit, aujourd’hui, une douzaine d’élus).

Ce nombre de 100 tirés au sort n’est guère justifié. Il est sans doute trop élevé pour une discussion approfondie entre non professionnels. La proposition de travailler en commissions (point x) n’y change rien comme on le verra. Le mélange de citoyens lambda, non professionnels et non experts, et de parlementaires fera que ces derniers monopoliseront les débats. Comme les nombreuses expériences de conventions de citoyens dans le monde l’ont montré, il faut impérativement exclure les experts et professionnels des assemblées citoyennes.

t. Dans le cas où on choisirait une assemblée purement citoyenne, on pourrait exiger qu’elle auditionne chaque groupe parlementaire.

Ce point t est très intéressant, les parlementaires participant de l’expertise. Mais rien n’est dit sur qui choisit les experts auditionnés. Il faut prévoir un comité de pilotage mélangeant des personnes d’avis varié issu de la CNDP par exemple et aussi que l’assemblée citoyenne puisse auditionner les experts qu’elle aura choisis.

u. L’assemblée se réunira une semaine par mois pendant trois mois.

Ce point u exclut la plupart des citoyens qui travaillent et qui ne peuvent s’absenter une semaine par mois, même rémunérés. Des réunions en week-ends sont nettement préférables.

v. Les citoyens tirés au sort seront indemnisés au niveau de la rémunération ordinaire des députés à proportion du temps passé.

Ce point v part d’une bonne intention, mais ce mimétisme mal placé avec les parlementaires pourrait faire miroiter un pouvoir législatif à l’assemblée des citoyens, ce qu’elle n’a pas. L’expérience montre plutôt que cette offre pécuniaire facilite grandement le recrutement, au risque de devenir une motivation majeure.

w. L’assemblée de citoyens sera présidée et animée par un(e) président(e) nommé(e) par une autorité indépendante (par hypothèse, la CNDP), qui ne prendra pas part au vote et sera choisi(e) pour son expérience en matière d’organisation des débats et du travail coopératif.

Ce point w prévoit de donner un président à l’assemblée citoyenne. Si un animateur professionnel (psycho-sociologue) est nécessaire, celui-ci ne doit être investi que d’une tâche purement technique. Le groupe des citoyens n’a nul besoin de dirigeant, même s’il ne prend pas part au vote.

x. Cette assemblée se réunit en séances plénières et en commissions. Les premières sont publiques, les dernières à huis clos.

Qu’entend-on par séance publique ? L’accessibilité et l’assistance à la séance ou le droit d’intervenir ? Le caractère public d’une partie du travail de l’assemblée citoyenne ouvre la porte aux pressions des lobbies sur les participants et est donc à exclure. Seul le rendu du travail de l’assemblée doit être public.

Le travail en séances plénières et commissions prévu favorise en outre grandement les professionnels ou quasi professionnels du travail en groupes, capables de bien comprendre les jeux de pouvoir et d’en jouer. Nous n’y sommes donc pas favorables.

y. Un temps d’antenne sur les chaînes publiques est réservé à parité pour le « oui » et le « non », une fois la campagne référendaire ouverte.

z. Bien que « toute la procédure du RIC doive permettre, notamment par […] les délais prévus entre les différentes étapes [et] de larges débats dans l’ensemble de la société sur cette initiative », aucun délai n’est prescrit hors le délai de collecte des signatures (6 mois cf. point h) et la durée de l’assemblée citoyenne (3 mois : cf. point u). Aucun délai n’est explicitement prévu notamment entre la collecte des signatures et le référendum lui-même.

Ce point ne prévoit donc pas de durée minimale entre l’acceptation d’un RIC et le référendum. Neuf mois (voire douze) nous semblent un minimum pour permettre la tenue de l’assemblée citoyenne et du débat public.

aa. Pour être acquise, une proposition doit obtenir 50 % de oui avec une participation minimale de 50 % des inscrits.

Ce point aa, en prévoyant un taux de participation minimale s’écarte de la règle des élections des représentants qui ne prévoit aucune participation minimale. Il nous semble plus opportun de prévoir un taux minimal de oui par rapport aux inscrits ou par rapport aux électeurs de la majorité, ou les deux : par exemple 50 % de oui, et 30 % de oui par rapport aux inscrits, et/ou un taux supérieur ou égal au taux des électeurs de la majorité aux dernières élections législatives.