L’association "Article 3" et le RIC

, par Robert Joumard

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L’association "Article 3" promeut le référendum d’initiative citoyenne ou RIC "en toutes matières". Son objet statutaire est de modifier l’article 3 de la Constitution. Elle propose de modifier les articles 3, 11, 24, 39, 60 et 89 de la Constitution.

1. Les modifications de la Constitution défendues par Article 3

L’association "Article 3" propose d’insérer « d’initiative citoyenne, en toutes matières y compris constitutionnelle et de ratification des traités ; Cet article ne peut être modifié que par voie référendaire. » à la fin de la première phrase de l’article 3 de la Constitution [1], phrase qui deviendrait :

« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum d’initiative citoyenne, en toutes matières y compris constitutionnelle et de ratification des traités ; Cet article ne peut être modifié que par voie référendaire. »

Cependant l’article 3 se borne à poser un principe général dont les modalités d’application sont fixées par d’autres articles de la Constitution. Il n’est donc pas nécessaire de préciser dans cet article les différents types de référendum possibles, cela doit être fait dans des articles spécifiques. De plus "Article 3" maintient la possibilité de référendum constitutionnel sur initiative du Parlement (dans l’article 89 modifié de la Constitution), alors que ce type de référendum n’est pas prévu dans l’article 3 modifié : il y a donc une incohérence entre les modifications proposées.

En revanche, la proposition de rendre modifiable uniquement par référendum l’article de la Constitution instituant la RIC est une excellente chose.

L’article 11 qui permet soit ensemble aux gouvernement et président, soit à un cinquième des membres du Parlement et un dixième des électeurs de lancer un référendum, est supprimé. Cet article n’est pourtant pas contradictoire avec l’instauration d’u RIC. Son maintien, sa suppression ou sa modification sont étrangères au RIC lui-même et devraient donc être discutées à l’occasion d’une refonte de la Constitution, c’est-à-dire d’une constituante.

Les articles 24 et 39 sont modifiés marginalement pour préciser que les lois peuvent être initiées par le peuple et votées par lui.

L’article 60 est ainsi modifié : « Le Conseil Constitutionnel veille à la régularité des opérations de référendum prévues aux articles 3 et 89 et au titre XV. Il en proclame les résultats. ». Il semble donc que le Conseil Constitutionnel soit réduit à cela (le texte ci-dessus d’Article 3 n’étant pas très clair), et qu’il n’ait plus à se prononcer sur la conformité des projets de loi et des lois à la Constitution. Dans ce cas, cela revient à une annulation de la Constitution, le peuple et la République n’ayant de fait plus de constitution.

L’article 89 est modifié notamment en introduisant : « L’initiative citoyenne de révision de la Constitution est définitive si elle a obtenu lors de la consultation la majorité des trois cinquième des suffrages exprimés. » On peut regretter qu’aucun taux de participation minimal ne soit exigé ou que le seuil d’adoption d’une modification de la Constitution ne soit pas exprimé en pourcentage du corps électoral.

2. Les insuffisances des propositions d’Article 3

Dans ses réponses aux arguments anti-RIC , l’association écrit : « il faut bien sûr distinguer le référendum d’initiative citoyenne de ces « référendums-plébiscites » par lesquels certains régimes autoritaires cherchent à légitimer leurs décisions : ces derniers sont à l’initiative du pouvoir, ce qui change tout ! » Apparaît ici une confiance absolue dans le peuple, qui ne pourrait aller à l’encontre de sa souveraineté : c’est faire abstraction des possibles manipulations des électeurs, comme l’histoire en fourmille d’exemples. Ainsi, qu’est-ce qui empêcherait un pouvoir de susciter un mouvement populaire en faveur d’un référendum plébiscite ? Cette éventualité n’a semble-t-il pas effleuré cette association. Un tel référendum n’aurait que l’apparence d’un référendum d’initiative populaire mais serait en fait à l’initiative du pouvoir.

La formulation d’un RIC « en toutes matières » laisse penser qu’aucune condition et aucune limite ne lui soit donnée. L’abandon du contrôle de constitutionnalité des lois et notamment des lois votées par référendum (prévu apparemment par la modification de l’article 60) va dans le même sens. Le projet d’Article 3 laisse aussi la porte ouverte par exemple à un référendum visant à rendre justice, c’est-à-dire à condamner ou non une personne physique ou morale, ce qui est extrêmement dangereux.

Pour éviter qu’un RIC soit transformé en un plébiscite et qu’il puisse être utilisé pour tout et n’importe quoi, trois conditions sont nécessaires :

  Le Conseil constitutionnel doit vérifier la conformité de l’objet d’un RIC à la Constitution que le peuple s’est lui-même donné, évidemment hors RIC constitutionnel ;

  La question posée doit être une question de gouvernement collectif, portant sur un désaccord interne à la société. Hors révocation d’un élu, la question posée ne doit pas porter sur des questions de personnes, ni directement ni indirectement. Cela doit être inscrit dans la Constitution ;

  Le vote doit être informé (toutes les positions en présence doivent être entendues, à égalité) et rationnel (vote en conscience, non sous le coup de l’émotion ou de la domination des factions), ce qui renvoie à la question de l’information des citoyens. Sans information contradictoire, sans débat et sans une longue période pour l’information et le débat (au minimum de 9 à 12 mois), un référendum n’aurait guère plus de légitimité qu’un sondage, où chacun est sommé de répondre par oui ou par non à une question qui n’est pas la sienne et à laquelle il n’a jamais réfléchi et pour laquelle il ne dispose de presqu’aucune information : une caricature de démocratie.

Pour ces raisons, un RIC ne doit pas être « en toutes matières », mais conditionné et limité comme indiqué plus haut, ce qui n’enlève rien au pouvoir des citoyens, mais de citoyens qui se sont donné une Constitution et la respectent, quitte à la modifier si nécessaire.

"Article 3" ne s’est pas intéressé aux modalités précises d’un RIC, laissant à une loi organique le soin d’en fixer les modalités : « Il appartiendra aux parlementaires d’en préciser les modalités dans une loi organique » comme indiqué dans les justifications de la proposition de loi constitutionnelle, « afin de ne pas affaiblir le soutien massif de nos concitoyens au principe du référendum d’initiative citoyenne ». Or les modalités du RIC peuvent vider le principe de tout contenu [2], par exemple :

  un seuil de signatures trop élevé,

  un temps de récolte trop court,

  une récolte par écrit plutôt qu’électronique,

  une non limitation des dépenses privées que ce soit pour la récolte des signatures (elles peuvent atteindre 700 000 € en Suisse pour un électorat dix fois moins nombreux qu’en France), ou pour la campagne elle-même (jusqu’à plusieurs millions d’euros en Suisse), qui réserve le RIC aux nantis et aux acteurs organisés,

  un seuil de participation trop élevé.

Laisser la définition de ces modalités à une loi organique donne en fait toute latitude aux élus, c’est-à-dire à la classe politique, de rendre le RIC non opératoire, ce qui en ferait un véritable leurre démocratique : l’apparence de la démocratie, la couleur de la démocratie, mais tout autre chose que la démocratie. Que « le peuple [puisse] revenir sur ces modalités s’il les jugeait inadéquates » est assez illusoire, car les situations propices à une modification de la Constitution par le peuple sont rares et on peut faire confiance aux pouvoirs successifs de tout faire pour écarter cette possibilité.

Défendre un projet incomplet, flou, mal défini, afin d’obtenir l’appui du plus grand nombre, c’est tromper une partie des citoyens et s’apparente à de la manipulation, loin de l’esprit du RIC...

"Article 3" ne fait enfin aucune proposition concrète pour assurer une information plurielle des électeurs avant le référendum, ce qui laisse les propriétaires des grands médias et le gouvernement, voire les propriétaires des grandes entreprises , jouer un rôle fondamental dans les campagnes référendaires et souvent dans leurs résultats.

Il semble donc que la belle formule d’un « RIC en toutes matières » recouvre un projet ouvert à toutes les dérives et qui laisse aux pouvoirs exécutif, législatif et médiatique une mainmise quasi totale sur la mise en œuvre et les résultats des RIC. Le projet d’Article 3 est donc au minimum très incomplet, par naïveté ou légèreté.

Notes

[1L’article 3 actuel dit :
« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum.
Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.
Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret.
Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques. »

[2Voir notamment l’interview de Dimitri Courant, doctorant sur la démocratie délibérative : www.youtube.com/watch?v=soRSAK-Cenc, ou Antoine Bevort, Le RIC et l’exemple suisse des votations citoyennes.16 déc. 2018. https://antoinebevort.blogspot.com/2018/12/le-ric-et-lexemple-suisse-des-votations.html