Préalables en matière de droit communautaire et constitutionnel à l’Accord Économique et Commercial Global (AECG) entre l’UE et le Canada (CETA) Expertise juridique succincte mandatée par Attac-Munich

, par Robert Joumard

Professeur Andreas Fischer-Lescano, LL.M. (Institut Universitaire Européen)
Johan Horst, LL.M. (Georgetown)

Centre Européen de Droit Politique (ZERP)
Faculté de Droit, Université de Brême

Questions

Depuis 2009, la Commission européenne négocie avec le Canada un Accord Économique et Commercial Global, le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement). À l’origine, il devait s’agir d’un accord purement commercial. Cependant, en 2011, le Conseil des ministres des affaires étrangères a étendu le mandat de négociation de la Commission en y ajoutant un chapitre sur les investissements. Le projet CETA prévoit en plus de la suppression des barrières douanières une série de mesures qui soulèvent des questions au niveau du droit constitutionnel (allemand r.r.) et européen. Il prévoit entre autre l´abolition des obstacles non tarifaires au commerce, la coordination de mesures juridiques dans le domaine de la santé et de la protection des plantes, la libéralisation du commerce des services, la protection d´investissements directs et indirects, la reconnaissance réciproque des qualifications, l´ouverture large du secteur des marchés publics et l´adaptation des droits de la propriété intellectuelle. Il sera créé un comité permanent de régulation constitué de représentants de l’UE et du Canada, ainsi qu’une instance arbitrale de règlement des différends entre Etats et investisseurs. Un avant-projet du CETA est public depuis août 2014.

L’expertise qui suit examine la version du CETA dite « consolidée » du 5 août 2014 du point de vue de sa conformité au droit communautaire et constitutionnel. Cette expertise se limite à certains aspects choisis du corpus réglementaire du CETA. Elle ne prétend pas à l´intégralité mais se concentre sur les réglementations particulièrement mises en avant dans le débat public.

Trois ensembles de questions se posent essentiellement dans ce contexte :

1. Le CETA dans sa forme actuelle est-il conforme au droit communautaire ? Respecte-t-il la répartition des compétences entre les organes et regroupements de l’UE et ceux des États membres ? Le CETA répond-il aux exigences communautaires, en particulier pour ce qui relève des principes de la Charte Européenne des Droits Fondamentaux (CEDF) ?

2. Le CETA dans sa forme actuelle est-il conforme au droit constitutionnel ? Quelles sont les conditions préalables que la Constitution (allemande r.r) exige d´un accord de commerce et d’investissement ? Comment les organes d´état allemands doivent-ils, le cas échéant, dans les commissions de L´UE (ex le Conseil), s´assurer de la conformité constitutionnelle du CETA ?

3. De quels moyens légaux disposons-nous pour vérifier que le CETA respecte le droit communautaire et constitutionnel ?

Résumé des résultats de l´analyse

1. Le CETA est un « accord mixte ». Il ne peut entrer en vigueur que si l’UE et les États membres le ratifient. La Constitution allemande exige pour ce faire l’aval non seulement du Bundestag mais aussi du Bundesrat.

2. L’introduction dans le CETA d´instances arbitrales de règlement des différends entre États et investisseurs est contraire au droit communautaire (art. 19 TUE combiné avec l’article 263 TFUE et suivants) comme aux dispositions de la Constitution qui accorde aux seuls juges le monopole de la justice (art. 92). En outre, l’UE n´a pas la compétence d’étendre une telle procédure aux investissements porte folio et au secteur des services financiers.

3. En concédant des droits à dommage et intérêts, le CETA enfreint le principe même de la démocratie ancré en droit constitutionnel comme en droit communautaire, en ce qu’il emploie des notions juridiques vagues telles que « investissements indirects » et « traitement juste et équitable » qui restreignent de manière disproportionnée l´organisation démocratique de l´ordre économique et social, confiant son interprétation à un système de comités non légitimés culminant dans le Joint Committee. Le Parlement européen et les organes législatifs et exécutifs nationaux ne sont pas suffisamment associés à ce système. Il manque en outre à l’UE, au regard de toute une série de domaines réglementaires, la compétence nécessaire pour créer ces instances. C’est pourquoi il est interdit de prendre des décisions dans le cadre d’instances dans lesquelles les organes nationaux ne sont pas impliqués.

4. Par la liste négative, la clause du Rachet, l´ouverture considérable du marché incluant le domaine des services publics communaux de même que l´interdiction des offsets c´est à dire l´interdiction du soutien ciblé des intérêts locaux, le CETA entrave de manière disproportionnée la garantie de l´autogestion des communes ancrée dans le droit européen et dans la Constitution.

5. Du point de vue des obligations imposées par l’UE et les États membres en matière de droit de l’environnement et de droits humains, le CETA pose problème parce qu’il n’ancre pas suffisamment les normes de respect des droits sociaux, du droit du travail, de la santé, de l’environnement et des droits humains.

6. En ce qui concerne l’exécution juridiques des obligations mentionnées ci-dessus, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) peut être saisie et, le cas échéant, rendre des arrêts provisoires aux termes de l’article 279 TFUE :

a) La CJUE peut être saisie du CETA via la procédure d’expertise. Le Parlement européen et les États Membres sont au premier chef fondés à la solliciter. Aux termes du §7 de la Loi relative à l’exercice de la responsabilité d’intégration du Bundestag et du Bundesrat dans les affaires de l’Union européenne, le Bundesrat devrait en faire la demande au gouvernement fédéral.

b) Une plainte invoquant la subsidiarité peut aussi être portée auprès de la CJUE. Les États membres sont fondés à le faire ainsi que leurs parlements et les composantes de ceux-ci. Le Règlement du Bundestag (§ 126a) soumet cette possibilité à une demande de « tous les membres des groupes qui ne participent pas au gouvernement ».

c) Enfin, aux termes de l’article 263 TFUE, il est possible de porter devant la CJUE une demande en déclaration de nullité. Le Parlement européen et les États membres sont les premiers fondés à porter une telle plainte. Aux termes du §7 de la Loi relative à l’exercice de la responsabilité d’intégration du Bundestag et du Bundesrat dans les affaires de l’Union européenne, le gouvernement fédéral allemand devrait accéder à une demande du Bundesrat en ce sens. Les requérants non prioritaires que sont par exemple les communes et les personnes juridiques devraient apporter la preuve que le CETA les concerne individuellement.

7. En ce qui concerne l’application juridique des obligations mentionnées ci-dessus, la Cour Constitutionnelle allemande peut être saisie à travers un recours en matière constitutionnelle ou par une procédure relative aux compétences des organes fédéraux. Dans l’attente d’une décision provisoire aux termes du § 2 de la loi relative à la Cour Constitutionnelle, le représentant allemand au Conseil européen peut, le cas échéant, se voir temporairement interdire de voter en faveur du CETA.

Brême (Allemagne), octobre 2014

(r.r : remarques de la rédaction)

Traduit par Hélène Bréant (Coorditrad) et Christiane Hansen (Attac-Munich)

Rapport complet :
 en allemand :
Europa- und verfassungsrechtliche Vorgaben für das Comprehensive Economic and Trade Agreement der EU und Kanada (CETA). Bericht, Univ. Bremen, oct. 2014, 41 p.
 en anglais :
The limits of EU and constitutional law for the Comprehensive Economic and Trade Agreement between the EU and Canada (CETA). Report, Univ. Breme, Germany, Oct. 2014, 40 p.

Résumé en pdf : cliquer ci-dessous.